LA DANSE JAZZ DANS UNE SOCIETE LIQUIDE

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LA DANSE JAZZ DANS UNE SOCIETE LIQUIDE

La danse jazz dans une société liquide Je rends hommage au sociologue Zygmund BAUMANN auteur de plusieurs ouvrages traitant de l’aspect « liquide » de la société actuelle. Il est fort intéressant de transposer sa pensée au niveau de la danse, et plus précisément de la danse jazz qui prend son origine dans la rue. L’urbanisme galopant et le rythme effréné d’une ville retrace, à mon avis, l’essence et la spécificité de la danse jazz, ceci, dans une vue réelle de la société, mais vivons-nous dans le réel ou dans le virtuel ?

On ne pose plus de questions car on a l’habitude d’avoir un interlocuteur virtuel qui ne pose pas de questions verbalement, on répond via écran numérique ; face aux nouvelles technologies, on communique en fait avec un partenaire qui ne répond pas car il est uniquement un transmetteur : téléphones portables, computers

Un danseur n’est il pas par définition un communicateur ?

La « nouvelle » danse jazz proposé actuellement en France est liquide. Basé sur la fluidité du mouvement, sans effort, sans opposition, elle est tellement « liquide » qu’elle devient justement insaisissable, neutre, sans affirmation. On aurait tendance de parler plus de  »formatage » que de  »formation »

Comme déjà dit dans le dernier reportage « la danse jazz et les claquettes » (Jazzpulsion N°5) la « syncope » tout comme la « contraction » sont moribondes, car elles vont à l’encontre de la fluidité ; elles arrêtent et cassent le mouvement. Faire un arrêt brusque, une rupture, c’est une opposition, une affirmation, une révolte (voir l’histoire de la danse jazz)

On dit que la danse jazz est la première stylisation de la rue, la danse contemporaine une abstraction, et la danse classique une idéalisation.

La nouvelle danse jazz française veut quitter la rue, veut s’identifier comme un art abstrait, savant, un art enfin reconnu. L’évolution de cet art est souhaitable, nécessaire et indispensable, on est d’accord sur ce point, mais une question se pose ; « sommes- nous encore dans le jazz ? ».
Quand je dis à mes élèves que le jazz sent la transpiration, que la danse contemporaine n’a pas d’odeur, et que le classique est parfumé à la rose, cela les fait rire, mais je ne pense pas être loin de la vérité. Le « funk », courant de danse et de musique lancé par le grand James BROWN, toujours d’actualité dans toutes communautés, est bien la contraction entre fun (plaisir) et skunk (putois).

Jack COLE (considéré comme le père de la danse jazz blanche) a toujours défini la danse jazz comme du folklore urbain (« jazz is urban folk »). Le folklore est un art pour le peuple, d ’où le nom « populaire » , une affirmation de son identité nationale, un divertissement, une danse à la portée de tous.
La danse jazz s’est diversifiée allant du commercial (comédies musicales, cabaret, revues, TV, clips, …), au théâtral (compagnies de danse). Dans le secteur commercial, la danse jazz est présente dans son esprit festif et communicateur.
Dans le secteur théâtral, qui est à mon avis, le plus difficile à gérer, l’essence se perd souvent au profit d’une danse savante qui noie son identité.
Mezz MEZZROW disait à juste titre « la danse jazz est en constante évolution, mais si elle évolue trop, elle n’est plus jazz ».

J’ai visionné dernièrement le film « Flamenco et Sevillanas » de Carlos SAURA.
Un régal de constater que l’Espagne garde ses traditions avec ferveur. Une culture constamment actualisée, modernisée, innovée, mais qui défend son aspect populaire, son identité, et reste abordable pour tous ; il n’y a pas d’innovation savante, pas d’intellectualisation, elle reste telle et se défend d’être« populaire ».

En France on a l’impression que « populaire » et « artistique » ne vont pas de pair .

Que dire de l’évolution de la danse jazz ? Réfléchissons a la phrase de Mezz MEZZROW …

Je constate tout de même avec plaisir un retour aux sources, notamment avec l’apparition de stages de lindy hop, balboa, charleston, danses conformes à l’original avec costumes d’époque, live music, ambiance conviviale et fun d’un jazz club (pirouette à la discothèque, à son terrain de chasse, et à sa non-communication).
Ce n’est pas seulement un retour nostalgique, c’est aussi la réponse à une demande croissante de communiquer in vivo, les soirées au bistrot du coin, en boîte de jazz. Enfin on parle en face à face et non à travers des « texto ».
Ainsi la danse retrouve sa fonction sociale originale, qui permet à la nouvelle génération d’être confrontée à une autre façon de communiquer, non-virtuelle cette fois! Le corps dansant exprime la vie, les styles, retrouve la musique : à l’origine, la danse et la musique jazz étaient étroitement liées, actuellement les nouvelles voies dans la création reçoivent d’autres influences. Elles devraient néanmoins, respecter l’identité de cet art qu’est le jazz.
Personnellement j’ai toujours vécu et transmis la danse jazz dans son jus, avec un travail poussé sur la rythmique, le contraste, le travail de style et une approche d’intention (le théâtre, les personnages). Je me sens libre dans cette identité chorégraphique, aucun complexe culturel vis-à-vis des danses plus savantes, aucun complexe de répéter 4 fois le même mouvement dans un ballet, aucun complexe de descendre le grand escalier d’un cabaret entouré de plumes et de strass (au contraire, quel bonheur !).
Banal ? Facile ? Cliché ? …. Peut être, mais je me sens bien, je mange à ma faim et je n’ai jamais vécu le métier comme une « galère ».
D’ailleurs, le regard que beaucoup ont sur le travail de cabaret, music hall, revue ou autre dit « facile et commercial » est un parti pris. Il n’y a pas qu’au théâtre qu’on se doit de proposer de la qualité : la qualité dépend de l’exigence, de la culture, et de l’expérience du chorégraphe. (Jack COLE travaillait aussi beaucoup dans les cabarets et les clubs, que dire de l’exceptionnel Bob FOSSE ! ).

Un conseil pour la jeune génération ?
Je n’ai pas vraiment de conseil à donner, je me suis simplement rendu compte que dans ce métier, comme dans tous métiers artistiques, une solide formation avec des maîtres fait la différence. Une longue expérience professionnelle en tant que danseur permet de comprendre et de digérer cet enseignement, une grande curiosité culturelle vers le passé comme vers l’évolution actuelle construit le savoir, le « Je » devient petit, et on tourne le dos au miroir afin de communiquer.

Gianin LORINGETT, janvier 2009.